Pourquoi tu souris ?

Article : Pourquoi tu souris ?
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29 juin 2023

Pourquoi tu souris ?

Il y a une question qui m’est souvent posée. Elle est un peu plus agaçante que le « tu viens d’où ? », de la part des locaux ou l’immanquable « cela fait combien de temps que tu habites ici ? », de la part des étrangers. Questions auxquelles j’ai envie de répondre « de la planète Terre » et « l’émigration n’est pas une compétition ! », respectivement.

La question déplaisante est donc : pourquoi tu souris ? Et ce n’est pas la version tendre « pourquoi tu souris, mon petit chou ? », mais plutôt la question accusatrice semblable à « pourquoi tu l’as blessé ? », ou encore « pourquoi tu m’as menti ? », comme si c’était quelque chose de grave « l’accusée voudrait bien nous dire une bonne fois pour toutes pourquoi sourit-il ?! ». 

Pourquoi ?

Cela ne vous regarde pas, c’est un pays libre à ce que je sache. Et moi aussi, je suis libre, libre de décider quand je souris, quand je rigole, quand je respire, quand j’aime et quand je n’aime pas. Parce que j’ai réussi, grâce à mon esprit et sagesse, à devenir maître de moi-même et je peux décider ce que je fais avec mes lèvres et mes dents. Il manquerait plus que ça ! Platon serait fier.

Pourquoi ?

Qu’est-ce que vous voulez dire exactement ? Parce que c’était la seule option, évidement ! Les gens pensent avoir le contrôle et « décider » des choses alors que c’est bien loin d’être vrai. Nous nous pensons libres simplement parce que nous ignorons ce qui motive nos impulsions et nos pulsions. Spinoza serait content.

Pourquoi ?

Beh parce que je suis heureux, pas vous ? La lumière du soleil, ne vous suffit-elle pas ? Et le rire d’un enfant, l’enivrante odeur des croissants chauds, la mélodie d’une baguette croustillante, la fraîcheur d’une bière en été, ce n’est pas suffisant ? – Comment ça, l’alcool est mauvais pour la santé ? Bref.

Pourquoi tu souris donc ?

Parce que ce monde est une question de politesse et de diplomatie et parce que l’on s’en sort mieux en souriant qu’en fronçant les sourcils. Parce que toutes ces années, parmi des gens qui ne disent jamais vraiment ce qu’ils pensent, m’ont fait ne jamais vraiment dire ce que je pense. Et parce que dans ma tête, je suis une excellente actrice. – Comment ça, on dit acteur ? Au temps pour moi.

À la fin, et cela reste entre nous, je souris parce que je suis fatigué. Je suis épuisé de faire ce que je dois faire et d’être ce que je dois être, fatigué d’être quelqu’un pour quelqu’un d’autre. Je souris parce que ma grand-mère est morte à neuf mil kilomètres d’ici, parce que mon amie et à l’hôpital en train de se battre contre le cancer, parce que je dois finir une thèse et je n’arrive toujours pas à trouver un logement dans cette ville. Je souris parce que tout me fait pleurer récemment et j’essaie de ne pas perdre mes moyens, de me lever tôt le matin. Et je souris aussi parce que je ne veux pas être une victime, je ne veux pas que les gens me plaignent.

Je souris parce que la dépression m’a fait perdre tout espoir dans l’avenir. Je souris pour cet instant, là, maintenant. Je souris parce que c’est tout ce qui me reste, parce que malgré mes efforts, je n’ai pas réussi à avoir d’autre super pouvoir que le pouvoir de rendre mon visage et mon monde un peu moins moches avec un petit mouvement du visage.

Je souris parce que la dépression m’a fait perdre tout espoir dans l’avenir. Je souris pour cet instant, là, maintenant. 

Donc, la prochaine fois, si vous me voyez sourire, ne me demandez pas pourquoi, souriez avec moi et taisez-vous. Si, en revanche, vous me voyez ne pas sourire, rapprochez-vous et serrez-moi dans vos bras ou bien partez vite et loin, parce qu’il y a des chances que je sois sur le point de pleurer.

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